Tomber amoureux : on ne se choisit pas par hasard

Pourquoi lui ? Pourquoi elle ?

Si toute rencontre paraît découler d’une suite de coïncidences imprévisibles, chacun de nous l’aborde, à son insu, bardé d’un tas de déterminismes conscients et, surtout inconscients. Pourquoi croise-t-on des milliers de personnes et n’en aime-t-on qu’une seule ?

Si toute rencontre semble découler d’une suite de coïncidences imprévisibles, chacun l’aborde bardé, à son insu, d’un tas de déterminismes conscients et, surtout, inconscients.

L’emboîtement de deux névroses

Nul besoin d’être sociologue pour constater qu’on a plus de chance de tomber l’un sur l’autre si on fréquente la même fac, la même entreprise, le même quartier ou le même club sportif… C’est mathématico-logique, la loi des probabilités. Mais, n’en déplaise aux obsédés des statistiques, cela ne signifie pas pour autant que les rencontres sont déterminées par les » affinités sociales « . C’est plus subtil que ça…Pour les scientistes, tout est biologique : les signaux visuels, acoustiques, olfactifs et hormonaux du partenaire font craquer le cœur – ou plutôt les récepteurs – de l’amoureux affolé. C’est moins rationnel que ça…

Oui, la vérité est ailleurs, enfouie dans les abysses de notre psyché. Freud a le premier mis en évidence qu’on ne rencontre que ce qui existe déjà dans son propre inconscient. » Trouver l’objet sexuel (l’objet aimé) n’est, en somme, que le retrouver « , telle serait la loi du désir humain. La rencontre amoureuse se
construit sur des fondations, du régressif, de l’affect, de l’ambivalent, confirme Jean-Georges Lemaire, l’un des premiers psychothérapeutes à s’être intéressé aux couples en détresse. Le choc amoureux est une » collusion inconsciente « , explique-t-il, l’emboîtement de deux névroses complémentaires. On est attiré par
l’autre parce qu’il entre en résonance avec le petit enfant qu’on était et qui demeure au fond de soi.

La nostalgie du premier amour

 C’est pourquoi l’autre nous est si familier.éléguidé » par un présavoir venu tout droit de ses premières expériences infantiles, chacun a dans la tête un fantasme précis qui va orienter sa quête de l’alter ego. » Ce n’est pas sans raison si l’enfant au sein de la mère est le prototype de toute relation amoureuse, souligne le psychanalyste Christian David. Tout le monde porte en lui la nostalgie du premier amour, idéalisé, comblant, princeps, l’amour maternel.  

Hommes ou femmes, nous avons tous tendance à reproduire – ou, à l’inverse, à gommer – cette relation affective archaïque, empreinte indélébile.

Miroir, suis-je ce que je rêve d’être ?

On cherche un être qui ressemble à ce que l’on pense être ou à ce que l’on voudrait être, qui est ou qui a » tout ce dont on rêvait « . Bref, un faire-valoir, un miroir qui renvoie une image positive de soi-même. Selon J.-G. Lemaire, l’idéalisation est le fondement de l’amour : » Il n’y a guère de rencontre amoureuse sans cette forme de surévaluation du partenaire, sans cette euphorie annulatrice d’anxiété. Si l’objet est
totalement bon, le sujet aussi est heureux et tout-puissant. » Cette phase qui s’appuie sur le clivage et le déni de la réalité, à la limite du » pathologique « , fait peur à tous les frileux qui redoutent la
fusion et diabolisent la passion. Toute rencontre amoureuse tend à la fusion avec l’autre. Comme le rappelle Freud, aux prémisses de l’état amoureux, la démarcation entre moi et l’objet tend à s’effacer. Toi et moi ne font qu’un.

Je me marierai avec papa

 Autre collusion inconsciente fréquente : la » collusion œdipienne « . Cette rencontre standard, considérée comme la plus adulte, » normalement névrotique « , se réfère aux images parentales, positivement ou négativement. Si » il » ou » elle » m’attire tant, c’est parce qu’il(elle) ressemble par certains côtés à mon père ou à ma mère. Bien évidemment, il serait simpliste de croire que l’être aimé est superposable au parent qu’il représente. En fait, il ne correspond pas au père ou à la mère réels, mais aux images inconscientes qu’on s’en fait ! L’espace amoureux n’est ni tout à fait réel ni tout à fait fantasmé, il est entre les deux, « transitionnel », comme aurait dit Winnicott. Denis ignore pourquoi il est tombé fou amoureux de Lisa, déjà mariée à un autre. En fait, la rivalité œdipienne rôde. Il y a un mari –substitut paternel – à combattre et à exclure pour posséder enfin la femme. Il n’est pas attiré par Lisa elle-même, mais par l’interaction à trois : Lisa plus son mari plus lui.

Selon le structuraliste Claude Lévi-Strauss, l’amour en Occident trouve toujours son origine dans un interdit, à commencer par celui de l’inceste. Les obstacles qui contrarient l’élan sont voulus, recherchés
même. Couples mixtes, partenaires séparés par une grande différence d’âge : plus l’autre est interdit, plus il est attirant…

Il ou elle guérira mes blessures du passé

La rencontre est source de malentendu car elle est fondamentalement placée sous le signe du paradoxe. En effet, on désire ce qu’on ne peut avoir : les objets d’attachement du passé. Pour jouir à nouveau du plaisir qu’ils nous ont donné, pour qu’ils donnent ce qu’ils n’ont pas donné ou réparent ce qu’ils ont blessé. Mais cette attente d’être complété et » réparé » par l’autre est un leurre qui crée une faille dans le couple.